Histoire 98 - 99

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Chapitre 1

Jacques Cassabois


Il était une fois, un enfant qui vivait seul avec sa mère. Leur maison était à l'écart de la ville,  invisible des chemins, car entourée d'un jardin si vaste qu'on le prenait pour une forêt. Quant aux lisères du domaine, elles  étaient si touffues, si peu accueillantes, mêlées de ronces et d'épines en bataille, qu'elles dissuadaient quiconque de s'en approcher. Ils vivaient ainsi, sans personne, depuis la naissance de l'enfant, sur leur territoire, au milieu de leur jardin. Ils y trouvaient tout leur nécessaire, car leur vie était simple et leurs besoins, faciles à satisfaire.

Mais un jour, l'enfant demanda :
" Mère, qu'y a-t-il au-delà du jardin ? Existe-t-il d'autres domaines semblables au nôtre ? "
La mère alors, sentit une main glacée se poser sur sa gorge. Elle répondit après un long silence :
" Il y a la pluie et le vent ; des orages et des tempêtes. Il y a des guerres et des famines, et un grand mal d'amour qui dévaste les pays. "
La mère parla longtemps et l'enfant l'écouta. Mais ses paroles résonnaient en lui d'une manière inhabituelle. Plus elle décrivait les incertitudes et les dangers, plus l'enfant se sentait captivé.
A la fin, il lui dit :
" Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? "
Elle hésita. Il y avait du reproche dans sa voix.
" Parce que tu ne m'as jamais questionné. "
L'enfant hocha la tête en regardant sa mère. Pour la première fois, il lui sembla qu'elle ne lui disait pas toute la vérité.
Les jours passèrent, en apparence comme ils avaient toujours passé. Mais la mère voyait bien qu'un ferment travaillait en silence le cœur de son enfant. Il était souvent aux aguets, à épier les bruits du domaine comme s'il y guettait les échos des pluies et des tempêtes.
A force de prêter l'oreille, il distingua ce qu'il n'avait jamais entendu : une rumeur sourde qui bourdonnait au fond de l'air. Cela ressemblait à un essaim dans les tilleuls au mois de juin. Il voulut voir, savoir et se laissa attirer à l'extérieur.
C'est ainsi qu'il découvrit au loin, la route nationale et son trafic incessant de voitures, de camions… Il marcha dans cette direction, les yeux brillants.
Lorsqu'il y parvint, un long cortège de camions venait de s'arrêter, sur le bas-côté. L'enfant, émerveillé, les contempla longuement. Ils étaient décorés de couleurs vives, avec des visages hilares et des têtes d'animaux redoutables. C'était un cirque ; le fabuleux cirque Mondo-Mondo ! Il s'était arrêté, toutes portes ouvertes, pour permettre aux bêtes qui avaient chaud, de respirer.
Un homme était accoudé à la portière d'un camion. Il ressemblait à la figure peinte sur les remorques, le rire en moins.  C'était le directeur. Quand il vit l'enfant ébloui, il lui dit :
" Je parie que tu veux-tu découvrir le monde, petit ? Tu ne pouvais pas tomber mieux. Le cirque Mondo-Mondo t'ouvrira les portes des cinq continents ! Je cherche justement un garçon comme toi, robuste et dégourdi, pour s'occuper des fauves. Celui qui faisait ce travail vient de s'en aller.  Si le cœur t'en dit,  la place est pour toi ! " Ce qu'il ne lui dit pas, c'est que son prédécesseur, en vérité, avait été mangé.
"  Comment t'appelles-tu ?
- Ma mère m'a toujours dit " l'enfant ".
- L'enfant ! Un gaillard comme toi ! Tu n'es plus un enfant, allons. Tu t'appelleras Jean : les garçons de la ménagerie s'appellent toujours Jean. Et tu seras palefrenier. Jean-le-palefrenier !
- C'est dit, acquiesça l'enfant, content de son nom. Mais avant de partir, il faut que je prévienne ma mère, sans quoi, elle s'inquiéterait.
- Presse-toi ! Je n'ai pas de temps à perdre avec des au revoir et des adieux ! Dans un quart d'heure, je ne serai plus là !
- J'en ai pour cinq minutes ! "
L'enfant revint chez lui et courut annoncer la bonne nouvelle à sa mère :
" Mère, je pars ! Le cirque Mondo-Mondo va m'ouvrir les portes des cinq continents.
- Un cirque ! Mon dieu… Il faut que ce soit un cirque qui t'emporte. Mes efforts pour te protéger n'auront servi à rien ! " Elle soupira et murmura ces mots :
" Ton père était dans un cirque, lui aussi. Trapéziste. Un jour… "
Elle ne put en dire davantage.
"  Ce n'est pas parce que tu m'as mis au monde que tu peux m'empêcher de vivre ma vie ! "  s'écria soudain l'enfant.
La mère comprit alors qu'il était inutile de le retenir. Elle préféra lui dire :
" Quoi que tu fasses, n'oublie jamais le jardin de ton enfance. Garde-le au fond de toi, empêche-le de s'éteindre. Partout où tu iras, il t'accompagnera  et lorsque tu trébucheras sur les chemins du monde, c'est lui qui te remettra debout. "
Elle s'interrompit, s'approcha d'un arbuste dont elle cueillit une petite branche.
"  Tiens, pour ne pas l'oublier, emporte avec toi ce rameau d'aubépine.
Ses fleurs blanches sont un éclat de sa lumière, déposée sur les branches par les oiseaux du matin. Maintenant, va puisque tu veux aller. Je ne peux plus rien pour toi. "
L'enfant prit le rameau d'aubépine et l'enfouit dans sa poche. Puis, il partit en courant rejoindre les gens qui l'attendaient.
"  Me voici ! s'écria-t-il, tout joyeux.
- Alors, en route ! Assez perdu de temps, maugréa le directeur du cirque. "
Le soir tombait déjà. Ils devaient rouler toute la nuit pour se trouver avant l'aube, dans une ville où ils donnaient une représentation le lendemain.
Jean-le-palefrenier, excité par la nouvelle vie qui l'attendait, avait déjà oublié sa maison, sa mère et ses dernières recommandations.  Il voyageait dans un camion qui transportait des animaux. Collé contre la banquette, il les entendait remuer dans son dos : des coups sourds, des glissements, des grattements... On aurait dit que les bêtes lui parlaient. Que disaient-elles ? Amitié ou colère ? Jean n'était pas rassuré.  Peu à peu cependant, les mouvements se calmèrent et, malgré l'inconfort de la cabine, sa fatigue prit le dessus et il s'endormit profondément.
Quand il se réveilla, le convoi était arrêté sur une place et l'aube n'était pas encore levée.
" Allez debout ! S'agit pas de flemmarder ! "....


Chapitre 2

CM2 de Germigny l'Evêque



"Allez debout ! s'agit pas de flemmarder ! "

Jean se frotta les yeux et s'étira dans la paille. Ses pensées et son cœur se trouvaient encore dans le jardin de son enfance.

-" Maman ?"

Brusquement un rugissement féroce et une odeur âcre et forte le tirèrent de ses rêves. Il se souvint où il se trouvait, en voyant le regard sévère du directeur, il eut honte de sa parole. Le directeur, en fronçant les sourcils lui lança ses vêtements au visage.

"- Dépêche toi de t'habiller, c'est un lieu de travail ici, je vais te conduire chez le dompteur, il t'expliquera ce que tu devras faire ; cet après midi on a une représentation à 15 h ! Tu as compris ?.... debout !"

Le cœur plein de tristesse, Jean se leva et s'habilla en vitesse. Il se demandait s'il avait eu raison de franchir la lisière de son domaine, il repensa aux paroles de sa mère ..."un grand mal d'amour dévaste le pays...." et il prit peur.

Il suivit le directeur : dehors, Jean découvrit une agitation et un bruit qui l'étonnèrent. Il entendit des voix et des cris inhabituels. La hauteur du chapiteau en construction était vertigineuse. Tout autour, des hommes musclés s'affairaient, tiraient sur des cordes et frappaient sur des pieux.

"- Où sommes nous ?

- A Milan , en Italie. Avance ! voici la roulotte de Tom et sa fille. Entre !

A l'intérieur, il faisait très sombre. Des diplômes, des fouets, des marionnettes, des photos de villes et de pays aux couleurs étranges étaient fixés aux murs. Tom se leva et Jean fut impressionné par sa carrure ! Il avait de la peine à tenir debout et devait baisser la tête. Sa voix était aussi douce que ses épaules étaient larges.

"- Je parie que tu t'appelles Jean, Jean le palefrenier !

- Ben... oui, répondit Jean en hésitant.

- Je vais te présenter ma fille, Sophie, elle a l'air timide, mais, méfie toi des apparences. Elle te montrera comment t'occuper des animaux."

Dans l'ombre de la roulotte, Jean aperçut une fille de 12 ou 13 ans, maigrichonne, mais au beau visage doré. Ses yeux bleus, pétillants de malice troublèrent Jean. Ses longs cheveux ressemblaient à une crinière de lion. Jean la suivit jusqu'à la ménagerie. Sans parler elle lui montra ce qu'il devait faire. Les fauves avaient faim et rugissaient. Ils tournaient en rond dans leur cage en retroussant les babines et en montrant leurs dents acérées. Sophie savait se faire obéir sans élever la voix, et par de simples gestes. Jean, fasciné, n'osait pas s'approcher des cages et ne la quittait pas des yeux.

"- Tu as peur ?

- N....non..."

L'enfant prit son courage à deux mains et avança. Le calme de Sophie l'impressionnait, il voulut lui prouver que lui aussi saurait se débrouiller seul, même si au fond il n'en était pas certain.

"- Surtout ne leur montre pas que tu es effrayé, c'est toi le nouveau maître. Les animaux ressentent toutes nos émotions, si tu restes calme, si tu es courageux et juste, si tu les aimes et si tu les respectes, ils auront confiance en toi et te respecteront aussi.

- Je n'ai jamais eu peur des animaux !" dit Jean vexé.

Sophie sentait que Jean ne voulait pas montrer sa frayeur et au lieu de lui dire qu'elle le savait, elle préféra l'encourager.

-" Penses y tout de même, sinon il pourrait t'arriver la même chose qu'à ton prédécesseur...

- Que lui est il arrivé ?

- Ne sois pas trop curieux, ça pourrait t'attirer des ennuis."

Très rapidement Sophie changea de sujet et présenta les fauves à Jean.

"- Lui, c'est Hiver, il aime beaucoup se rouler dans la neige, l'autre, c'est Océano, il adore l'eau. Et elle, c'est Naouale, elle est très gentille malgré les apparences. Voilà pour les tigres. Les deux lions là bas, se nomment Sindbad et Hindbad, ils sont frères."

Jean sursauta brusquement, ce qui fit beaucoup rire Sophie. Un petit singe s'était agrippé à l'épaule du garçon et jouait avec ses cheveux.

-" J'avais oublié Arthur, c'est mon meilleur ami, méfie toi, il est un peu voleur !"

Elle avait à peine prononcé ces mots que le petit ouistiti retira de la poche de Jean la branche d'aubépine. Il la sentit, frotta doucement sa joue sur les fleurs et la rendit à Jean.

-" Tu as de la chance s'exclama Sophie, d'habitude il ne rend pas ce qu'il prend. Il t'aime bien !"

A ce moment le directeur arriva l'air sévère, il se mit à hurler et à gesticuler :

"- C'est comme ça que vous travaillez ? Jean, ne reste pas planté là, donne à manger aux fauves, et toi Sophie, ton père t'appelle tu dois répéter ton numéro de trapéziste ! "

L'homme s'était à peine approché de la cage, que les fauves se mirent à grogner et rugir. Le directeur passa à côté en injuriant les animaux et se dirigea vers un camion situé à l'écart. Là, un homme chauve, gigantesque et aux bras tatoués l'attendait. Tous deux échangèrent des objets en cachette. Ils regardaient sans cesse autour d'eux, l'air inquiet.

Jean, intrigué, s'approcha à pas de loup et les écouta. Il crut entendre le directeur prononcer les mots : ... dompteur...... accident....argent.....L'homme montrait les cages des fauves d'un air agressif et menaçant. Le géant tatoué sortit une petite clef de sa poche, se rendit à l'arrière du camion et introduisit l'objet dans un élément du dessin peint sur la remorque.

" - Il se passe des choses étranges dans ce cirque... ! se dit Jean, le cœur battant, il faut alerter Sophie. "

 

 

Chapitre 3

CM1 du LIFA

 

Jean, inquiet, se précipita en courant vers l'immense chapiteau qui résonnait de bruits divers. Il y pénétra et chercha Sophie des yeux à l'endroit où se trouvaient les trapèzes, mais ne l'aperçut pas. Intimidé par tous ces gens qu'il ne connaissait pas, Jean fut pris de panique. Près de la porte, un clown à l'air sympathique, coloré comme un arc en ciel, était entrain de jongler. Tout en continuant son numéro, il s'avança lentement vers Jean et lui demanda :

"- Bonjour, comment t'appelles tu ?

- Euh... Jean...Bonjour, vous avez vu Sophie ?

- Oui, je l'ai vue s'entraîner mais elle vient juste de partir. Je crois qu'elle est partie retrouver son père dans la roulotte."

Jean remercia le clown et s'élança dans cette direction... Il parvint tout essoufflé à la porte et au moment où il s'apprêtait à frapper, Sophie lui ouvrit :

"- Sophie, j'ai quelque chose à te dire !

- Viens, entre vite, répondit la jeune trapéziste.

- Puisque ton père n'est pas là, je vais pouvoir te raconter ce que j'ai vu.

- Ah bon ! que s'est il passé ?

- Des choses étranges..."

Jean expliqua les manigances qu'il avait découvertes entre le directeur et l'homme tatoué. Sophie écouta attentivement et à la surprise de Jean ajouta qu'elle avait aussi remarqué un comportement bizarre chez son père à son égard. En effet, depuis quelque temps, il était inquiet et lui disait de ne jamais trop s'éloigner de lui.

Jean et Sophie décidèrent de s'associer pour chercher à comprendre ce mystère plus facilement et pour avoir plus d'informations. Jean ajouta que s'ils travaillaient ensemble, ce serait aussi moins dangereux. Curieux et pressés de comprendre, ils commencèrent leur enquête sur le champ. Jean proposa à Sophie de lui montrer l'élément du dessin où l'objet était caché.

Ils sortirent de la roulotte et marchèrent discrètement en direction de la remorque, Jean montra à Sophie le dessin où l'objet était caché. La fillette s'exclama :

"- Mais ce dessin, je le reconnais ! Il me semble que dans ma roulotte, il y a une photo de la tour Eiffel et d'un personnage semblable à celui ci. Viens vite, on va les comparer !"

Les enfants, impatients, retournèrent vérifier s'ils étaient bien identiques. Arrivés chez Sophie, ils observèrent attentivement la photo.

Pour regarder le personnage de plus près, Sophie eut l'idée d'utiliser la loupe qui se trouvait dans le tiroir du bureau de son père. Ni Jean, ni Sophie n'étaient capables d'identifier cet homme mystérieux qui portait une chemise grise, un pantalon de toile beige et une casquette verte. Mais, tous deux avaient reconnu ce qui était fixé à sa boutonnière..., un rameau d'aubépine !

Les deux amis, enlevèrent minutieusement la photo qui était fixée sur le mur, afin de la comparer au dessin peint sur la remorque et, à leur plus grande surprise, ils découvrirent une petite porte métallique avec une serrure.

A ce moment précis, Sophie et Jean entendirent le directeur crier :

"Répétition générale !"


Chapitre 4

Jacques Cassabois


" Dépêchons… On va encore se faire attraper ! s'écria Jean.

- Rendez-vous à ma caravane après la répète ! " lui répondit Sophie en courant de son côté.

La répétition dura plus longtemps que d'habitude. Il fallait revoir les enchaînements entre les numéros qui manquaient de rythme, reprendre aussi la parade finale lorsque tous les artistes saluent le public. Mais c'était surtout le comportement des fauves qui avait allongé la séance.

En effet, ils étaient nerveux, refusaient de travailler, grognaient méchamment. Océano, sournois, avait même porté un coup de patte au dompteur. Heureusement, Tom était sur ses gardes. Mais le fouet avait dû claquer plusieurs fois avant qu'Océano se décide à reculer, la gueule ouverte et les crocs menaçants.

C'est donc à la nuit presque tombante que Jean retrouva Sophie chez elle. Sans attendre, ils se rendirent à la remorque :

" Tiens ! Elle n'est plus à la même place, observa Jean. On l'a bougée pendant la répétition !

- C'est à se demander si cette répétition n'a pas été spécialement prévue pour permettre à la remorque de se déplacer, continua Sophie.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Qu'on a peut-être profité que tout le monde était occupé pour bouger le camion

- Pourquoi ?

- Ah ça ! fit-elle avec une moue. J'en sais pas plus que toi !

- Allons voir ! proposa Jean. "

Les deux enfants se glissèrent discrètement jusqu'à l'arrière du camion.

" La serrure est aussi fermée que tout à l'heure, fit Jean. On n'est guère plus avancés.

- Surveille les alentours et t'occupe pas du reste, répondit Sophie en dégrafant la pince qui retenait ses cheveux. "

Un prestidigitateur lui avait appris quelques tours comme de savoir se libérer d'une chaîne verrouillée par des cadenas, d'une malle où elle était enfermée… C'est pourquoi elle connaissait de nombreux modèles de serrures et savait les ouvrir en se passant de clé.

Elle introduisit l'extrémité pointue de sa barrette dans le trou de la serrure et comprit en tâtonnant qu'elle n'était pas très difficile à crocheter.

" Elle ne va pas me résister bien longtemps, murmura-t-elle. "

En effet, en moins d'une minute, la serrure avait cédé et la porte était ouverte. Une petite porte, découpée dans un vantail de la grande porte arrière de la remorque. Une sorte de coffre capitonné y était aménagé, cloisonné en alvéoles qui contenaient des petites fioles de verre, remplies d'un liquide de couleur différente.

" Qu'est-ce que c'est que ça ?" se demandèrent les deux amis.

Et aussitôt, pour satisfaire leur curiosité, ils saisirent chacun un flacon et regardèrent par transparence son mystérieux contenu.

Le soir tombait. Ils voyaient mal. Alors, pour se faire une idée plus précise, Jean dévissa le bouchon et, prudemment, approcha ses narines de l'orifice pour humer.Oh sa tête ! Oh ses yeux ! Oh sa bouche ! quand il eut respiré. Ce n'était plus une tête, des yeux, une bouche, c'était… un soleil ! Un soleil émerveillé ! Comme quelqu'un qui rêverait qu'il vole et se rendrait compte, à son réveil, qu'il peut toujours voler, se déplacer dans les airs à sa guise, avec la virtuosité du vent.

" Ouah ! fit-il ! Ouah, c'est incroyable ce parfum… Quel effet !… Et toi ? "

Encouragée par Jean, Sophie déboucha son flacon et huma à son tour. Une grande bouffée.

Oh saperlipopette, sa tête ! Oh ses yeux ! Oh pétard de pétard, sa bouche ! Ce n'était plus une tête, des yeux, une bouche, c'était une horrible grimace d'horreur, de dégoût, de frayeur ! Comme… je ne sais pas ; comme la tête d'un bébé phoque qui découvre sur la banquise, des braconniers à sa recherche pour le massacrer. Ou comme, je ne sais pas… comme si elle rentrait un soir chez elle et qu'elle découvrait que les éboueurs s'étaient trompés et avaient vidé tous leurs camions-poubelles dans son jardin…

" Mais c'est affreux cette… cette… beuhèrrr… "

Elle bavait, toussait, crachait :

" Cette saleté-là ! "

Jean l'aida à reboucher son flacon, en prenant soin de tenir son nez à distance, la réconforta comme il put et rangea chaque fiole dans sa niche. Il avait eu plus de chance, mais la mésaventure de Sophie leur

ôta toute envie de renifler les autres bouteilles.

" A ton avis, qu'est-ce que c'est ? A quoi ça sert ? demanda Jean.

- Sais pas ! répondit Sophie en haletant pour trouver de l'air frais. Sais vraiment pas ! "

Mais leur vigilance s'était relâchée. Ils n'avaient pas entendu que quelqu'un s'approchait du camion.Lorsqu'ils entendirent les pas, il était trop tard pour refermer la cache, re verrouiller la serrure avec la pince à cheveux… Ils s'enfuirent quelques secondes avant l'arrivée de l'inconnu :

" Mille gueules de bois ! jura le type en découvrant la trappe ouverte. "

Il se précipita de l'autre côté de la remorque. Rien. Il écouta l'obscurité qui s'était installée, entendit un vague frôlement du côté de la ménagerie, puis revint à l'arrière de la remorque. Il vérifia qu'aucune fiole n'avait disparu et referma la porte avec une clé qu'il portait autour du cou.

" Mille milliards de mille gueules de bois ! jura-t-il encore. "

Puis il cracha par terre et s'éloigna à grandes enjambées furieuses. C'était le géant chauve.

De leur côté, Jean et Sophie s'étaient réfugiés dans la réserve de foin des animaux. Ils essayaient de se remettre de leur frayeur en faisant le point de leurs investigations." On a plus de questions que de réponses dit Sophie, mais on ne trouvera pas les réponses si on ne commence pas d'abord par se poser les questions. "

Alors, ils essayèrent de faire l'inventaire de tout ce qui demeurait mystérieux :

1/ Quel produit contenaient les mystérieuses fioles ? A quoi servait-il ?

2/ A quel trafic se livrait le directeur ? Avec qui ?

3/ Qui était ce géant chauve apparu à la représentation de Milan ?

4/ L'homme sur la photo qui se trouvait dans le bureau du père de Sophie, qui était-il, lui aussi ?

5/ Pourquoi portait-il le même rameau d'aubépine que Jean ?

6/ Tom le connaissait-il pour conserver sa photo comme un souvenir ?

" Il va bien falloir qu'on tire tout ça au clair ! chuchota Jean, décidé à comprendre. "

Mais le temps passait et la représentation du soir approchait. Ils se quittèrent.

 


CM1 du LIFA

 

Tous les employés du cirque s'affairaient sous le chapiteau. Jean arriva dans la ménagerie pour préparer les fauves avant la représentation. Il devait nettoyer leur cage, les brosser, les nourrir et leur parler doucement pour les mettre en confiance. il devait aussi s'assurer qu'ils étaient assez dociles pour obéir au dompteur. Quand Jean voulut s'occuper de Sindbad, il s'aperçut que le lion était très agité, montrait les crocs, se dressait sur ses pattes arrière et surtout le fixait méchamment dans les yeux. A ce moment, Tom entra, tout flamboyant dans son bel habit rouge et doré de dompteur. Jean était un peu impressionné.

- Euh... salut, Tom.

- Alors, tout va bien. Tu as terminé?

- Ben, c'est à dire que j'ai du mal avec Sindbad. Il a vraiment l'air féroce et je dois avouer... je ne suis pas très rassuré quand je l'approche.

- Tiens, c'est bizarre. Je n'ai jamais eu de problème avec lui. Il est plus doux qu'un lion en peluche d'habitude.

Tom pénétra dans la cage mais Sindbad voulut le griffer.

- Ah ha! Qu'est-ce que t'as aujourd'hui, mon Sindbad?

Et se tournant vers Jean:

- Tu sais quoi, je vais faire le numéro sans lui. Il me paraît trop dangereux. Occupe-toi bien de lui, il faut que j'y aille."

Pendant que Tom se dirigeait avec les félins le long d'un couloir spécialement aménagé qui débouchait directement sur la piste, Jean s'avança près de la cage de Sindbad et vit un objet briller sur le sol. Il se pencha pour le ramasser et reconnut immédiatement l'une des fioles. Mais elle était vide...

Jean dut attendre la fin de la représentation pour prévenir Sophie. Il était impatient et ne savait que faire. Il tournait en rond et de temps en temps, écartait le rideau des coulisses mais il regardait le spectacle de façon distraite.

Enfin, les artistes vinrent saluer le public au rythme des applaudissements et Jean fit signe à Sophie de le rejoindre à la roulotte.

- "Et alors, que se passe-t-il? demanda Sophie en ouvrant la porte.

- Sophie, s'exclama Jean, j'ai trouvé ce flacon vide à côté de la cage de Sindbad! "

Sophie examina l'objet de plus près.

-" Quand l'as-tu trouvé?

- Juste après que ton père soit parti sur scène.

- Je n'ai pas vu Sindbad, s'étonna Sophie."

Jean lui raconta le comportement étrange du fauve.

- Il faut prévenir papa, décida Sophie. On ne peut plus garder tous ces secrets. Cela devient trop sérieux! "

Quand Tom entra dans la roulotte, il semblait préoccupé et il sursauta en voyant sa fille et Jean qui l'attendaient.

- Papa, il faut qu'on te parle!

- Qu'y a-t-il? s'inquiéta Tom."

Et les enfants rapportèrent tout ce qu'ils avaient entendu et découvert. Ils parlèrent des mots dompteur, accident, argent chuchotés par le directeur, du coffre caché dans la remorque et des fioles. Ils n'omirent pas l'effet que cela leur avait fait en les humant.

- Montre-lui la fiole, suggéra Sophie.

- Ah oui...j'ai trouvé ce flacon à côté de la cage de Sindbad.

Tom réfléchit:

- C'est vraiment étrange, tout ha! Hum... Tu te souviens, Sophie, de mon meilleur ami trapéziste? Celui qui t'apprenait à te balancer sur son trapèze quand tu étais toute petite ?

- Non, je ne m'en souviens pas.

- Eh bien, je ne te l'ai jamais dit, mais un jour, il a sauté de son trapèze comme s'il s'apprêtait à voler et a eu un terrible accident. Personne n'a compris ce qui s'était passé. Je pense souvent à lui. Depuis ce jour, je ne me sens plus vraiment en sécurité, ici.

- Oh papa, je suis désolée. Est-ce que tu as une photo de lui?

- Oui, répondit Tom, et il pointa du doigt la photo sur le mur avec l'homme mystérieux près de la tour Eiffel.

Jean prit Sophie à part et lui chuchota:

- N'oublie pas de parler à ton père de la porte métallique, derrière.

Tom l'entendit:

-Ah, les enfants, je vois que vous avez découvert ce coffre... Il faut que je vous explique quelque chose. Mais attention, c'est un secret! Juste avant son accident, mon ami trapéziste m'avait confié une très grosse somme d'argent, alors, je l'ai cachée dans le petit coffre derrière cette photo."

Soudain, la cloche de l'église sonna dix coups et Sophie eut du mal à cacher un bâillement. Elle était fatiguée mais ne voulait pas l'admettre.

- C'était une longue journée et vous êtes bien impatients d'en savoir plus mais c'est l'heure d'aller se coucher. Nous réfléchirons à tout ça après une bonne nuit de sommeil, annonça Tom."

Un peu plus tard, près de la ménagerie, allongé sur la paille qu'il avait préparée pour dormir, Jean repensa à cette journée pleine d'aventures. Il se souvint de l'effet du parfum de la fiole, de ce sentiment merveilleux d'être comme un oiseau planant dans le ciel puis lui vint alors l'image du trapéziste qui volait dans les airs juste avant sa chute.

Epuisé, le jeune palefrenier s'endormit...



Chapitre 6

CM2 de Germigny l'Evêque

L'aube était à peine levée que des secousses et des bruits sourds et nombreux tirèrent Jean de son sommeil. Il se souvint que le cirque devait effectuer plusieurs représentations en Autriche, le moment du départ devait approcher.

Impatient d'en savoir plus sur ce mystérieux trapéziste qui hantait son esprit, il courut à la roulotte de Tom. Beaucoup d'indices le troublaient : la branche d'aubépine à sa boutonnière, le rêve provoqué par le parfum des fioles et puis son père qui était trapéziste dans un cirque... son cœur se mit à battre très fort. Il était si pressé qu'il ne remarqua pas tout de suite que le chapiteau était démonté et certains camions déjà partis.

Sans attendre que Jean ait frappé une seconde fois, Tom ouvrit la porte.

Inquiet, il accueillit l'adolescent un peu brutalement :

" - Où est Sophie ? Elle n'est pas avec toi ? "

Jean surpris, demanda des explications à Tom.

" - J'ai envoyé Sophie te chercher il y a un bon moment de cela, elle devait revenir immédiatement. Je suis inquiet, ce n'est pas dans ses habitudes de me désobéir.

Jean s'affola lui aussi, Sophie était peut être en danger ou blessée...

- Partons à sa recherche. "

Autour d'eux tout était sans dessus dessous, les artistes couraient vers les camions les bras chargés de matériel, le directeur hurlait des ordres :

" - Plus vite ! départ dans une heure pour tout le monde !  

- Impossible tant que nous n'aurons pas retrouvé Sophie, s'exclama Tom.

- Tu la retrouveras ta gamine, ça t'apprendra à la surveiller, elle doit encore être entrain de fouiner quelque part. Tes animaux sont prêts au moins ? on les embarque dans 10 minutes.

- Les animaux ne partiront pas tant que Sophie ne sera pas revenue saine et sauve ", répliqua Tom, hors de lui en brandissant le poing.

Brusquement de petits cris attirèrent l'attention de Jean. Arthur venait vers lui, très énervé. Le ouistiti lui tira le bas du pantalon, il voulait le conduire dans une direction précise.

" - Que t'arrive t il Arthur, où veux tu m'emmener ? "

Le petit singe le prit par la main et le conduisit à la roulotte du directeur. Il se suspendit à la poignée et Jean comprit qu'il devait entrer.

Le jeune garçon était crispé, il avait peur. Le front couvert de sueur, il s'assura que personne ne l'avait suivi et regarda par la fenêtre pour vérifier que la voie était libre. Il mit la main dans sa poche, sentant la branche d'aubépine, il se souvint des paroles de sa mère et cela lui redonna courage.

Jean saisit la poignée de la porte, ferma les yeux et ouvrit d'un coup sec.

Arthur se mit à fouiller les tiroirs et dans l'un d'eux, Jean remarqua une barrette. Il se demanda à qui elle pouvait bien appartenir : à Marianne l'écuyère ? à Jeanne la funambule ? En regardant de plus près, il reconnut l'objet qui avait servi à crocheter la serrure du coffre aux fioles. Le S gravé sur un des deux lions confirma ses soupçons. Il se rappela alors que dans leur fuite, Sophie avait perdu sa barrette au pied de la remorque. Instantanément Jean comprit que le directeur et l'homme tatoué avaient dû enlever Sophie, la perte de sa barrette l'avait trahie.

Jean dit soudain à Arthur de cesser de faire du bruit, car il lui semblait entendre de petits grattements à l'autre bout de la roulotte. Les sons provenaient d'un grand placard. Le garçon s'en approcha et l'ouvrit. Il découvrit alors une malle. Intrigué, Jean et Arthur soulevèrent prudemment le couvercle. Brusquement Sophie jaillit de la malle en prenant une grande bouffée d'air. Effrayé, surpris puis heureux le jeune palefrenier l'aida à sortir.

" - tu es arrivé à temps, un peu plus et je mourais étouffée ! J'avais réussi à me libérer des chaînes mais impossible d'ouvrir la malle.

- Vite, filons d'ici, allons rassurer ton père, dit Jean. "

Discrètement les trois amis sortirent de la roulotte et sans se faire remarquer, ils partirent à la recherche de Tom. La place était presque déserte, il ne restait qu'une dizaine de roulottes et de caravanes et ils n'eurent aucun mal à retrouver le dompteur. Ils s'empressèrent de rentrer dans leur habitation et là, Sophie leur raconta son aventure :

" - Ce matin, alors que j'allais te réveiller, dit Sophie en s'adressant à Jean, le directeur et l'homme tatoué se sont jetés sur moi, ils m'ont bâillonnée et enfermée dans la malle. Je crois qu'ils avaient l'intention de me droguer et de me jeter aux fauves pour qu'ils me dévorent, comme l'ancien palefrenier.

- Je croyais qu'il était parti ! s'étonna Jean;

- Le directeur dit toujours cela pour ne pas avoir d'ennuis et trouver un nouveau palefrenier ! ton prédécesseur avait dû découvrir le trafic !

- Quel trafic ? interrogea Tom

- Celui des fioles, répliqua Sophie, j'ai tout entendu et tout compris. Le directeur et le géant chauve sont des complices, ils veulent que le cirque Mondo-Mondo soit mondialement connu. Pour cela ils souhaitent éliminer leurs concurrents. Les fioles qui font rêver sont faites pour que nos artistes prennent des risques et fassent des numéros extraordinaires...

- Comme le tapèze...dit Jean, mais Sophie lui coupa la parole.

- Les autres fioles sont réservées aux artistes des cirques concurrents pour qu'ils soient malades et ratent leur représentation. L'homme chauve est chargé de répandre cette marchandise.

- Alors le trapéziste, reprit Jean, qu'est il....? "

A ce moment, Arthur qui regardait par la fenêtre, se mit à sauter en poussant des cris aigus.

Le directeur se dirigeait vers la roulotte de Tom....


 

" Vite, dit Tom à Sophie, cache-toi. Il ne faut pas qu'il voie que l'on t'a retrouvée ! Il y a encore trop de choses à découvrir et pour le confondre, on a besoin de preuves solides. "

Pendant qu'il parlait, Sophie s'était glissée à l'intérieur d'une banquette qui servait de meuble de rangement et Jean s'était assis par-dessus.

La porte s'ouvrit :

" Alors ! vociféra le directeur, si c'est pas maintenant, ce sera plus jamais !

- C'est maintenant, c'est maintenant, s'empressa Tom en faisant mine de s'excuser. Je sais où est Sophie. Paillasse, le clown, m'a dit l'avoir vu partir dans la camionnette de Marité la femme boa. Je ne comprends pas ce qui lui a pris de s'en aller sans me prévenir, mais je vous assure qu'elle va passer un mauvais quart d'heure à l'arrivée. "

Le directeur, un moment inquiet, eut un mauvais sourire :

" Tu peux bien élever ta fille comme tu veux, ça me regarde pas ! En attendant, si tu es prêt, décampe ! Je partirai le dernier. "

Et il tourna les talons.

Tom et Jean se regardèrent. Ils avaient parfaitement compris l'un et l'autre pourquoi le directeur proposait de quitter les lieux le dernier. Si Sophie avait toujours été sa prisonnière, c'est alors qu'il se serait débarrassé d'elle.

" Il ne va pas tarder à savoir que l'oiseau s'est envolé, fit Sophie en émergeant de la banquette.

- Oui, et on a plutôt intérêt à être loin quand il le découvrira !

- Au contraire, je crois qu'il vaut mieux qu'on ne s'éloigne pas trop,

objecta Tom. "

Les deux enfants le regardèrent.

" C'est simple, réfléchissez ! Sophie représente un danger pour lui. Elle est au courant de son trafic. Donc, qu'est-ce qu'il va faire ?

- Me chercher ?

- Ou peut-être se dépêcher d'avertir le chauve, fit Jean.

- Je penche plutôt pour cette solution, confirma Tom. Et quand on se dépêche, on prend moins de précautions, on panique même. C'est là qu'ils risquent de commettre des erreurs. Donc, il faut qu'on ne soit pas trop loin pour les surveiller et les prendre en flagrant délit. Alors, voilà ce qu'on va faire : Sophie, pendant qu'on ferme les portes du camion aux fauves et qu'on attelle la caravane, tu restes ici, enfermée à double tour. Dans cinq minutes on part. A la sortie de Milan, sur la route de Gênes, je connais un dégagement où l'on pourra se dissimuler en attendant le passage du directeur. On le suivra de loin.

- - Il marchera jamais ton plan, s'écria Jean. Comment veux-tu qu'on le suive sans qu'il nous remarque ? Un camion de cirque passer inaperçu !… On n'a jamais vu ça ! Non, j'ai mieux en magasin. Je me cache à l'arrière de la camionnette du patron, Sophie me passe son téléphone portable et je vous informe de notre itinéraire en vous appelant sur le portable de Tom. De cette manière, vous restez devant nous, à une distance convenable et on n'éveille pas les soupçons.

- On n'éveille pas les soupçons, mais si tu te fais prendre, ce sera bien pire ! Non, je ne peux pas accepter de te faire courir un pareil danger ;protesta Tom.

- Et Sophie ? Le danger, il était là, prêt à l'étouffer, sans te demander

ton avis… "

Tom soupira :

" Tu sais bien que j'ai raison, continua Jean. Et, de nous trois, je suis le seul à pouvoir faire cette tentative.

- Bon ! se résigna Tom. Alors, plus un mot. Exécution ! "

Ils firent ainsi. Sophie confia à Jean son téléphone avec son code d'accès, puis Jean alla parler une dernière fois à Sindbad, Hindbad et aux trois tigres que toute cette tension rendait nerveux. Après quoi, il se glissa sous la caravane du directeur.

C'est de là qu'il vit partir le camion ménagerie conduit par Tom. Sur la place, il restait maintenant seul avec le directeur qui ignorait sa présence. Il l'entendait marcher au-dessus de sa tête. Soudain, un coup violent ébranla la roulotte, suivi d'une bordée de jurons.

" Ça y est, pensa Jean. Il a découvert que la cage est vide. "

Le directeur sortit, furieux, regarda dans la direction où le camion était parti.

" C'est lui, j'en suis sûr ! Sa manière de dire que sa gamine avait suivi Marité… J'aurais dû m'en douter... Quel imbécile je suis ! "

Il rentra en claquant la porte et Jean l'entendit téléphoner. Il informait son complice.

" Je t'avais dit de pas parler devant la gamine ! Mais tu as toujours la langue trop longue ; tu sais pas te taire ! Maintenant ils savent tout… Quoi ?… Les zigouiller ?… Ben bien sûr ! Ils sont trois, je te signale… Dont un qui n'a même pas peur des fauves … Bon ! Tu vas m'écouter au lieu de dire n'importe quoi… Y'a le feu, tu saisis ! Faut disparaître fissa… Alors, dès que tu arriveras à Gênes, file voir le Capitaine du Lübeck. Explique-lui qu'on est grillés et qu'il a deux passagers en plus de la marchandise. Qu'il se tienne prêt à appareiller. Je vous rejoins directement, sans repasser par le cirque. Tant pis pour le stock qui reste là-bas. De toute façon, lorsque j'arriverai, le monteurs auront déjà hissé la toile et les fioles cachées dans la coupole seront hors d'atteinte … "

Il raccrocha et sauta dans sa camionnette. Jean eut tout juste le temps de sortir de sa cachette et de se faufiler à l'arrière du véhicule où il se cacha sous une bâche.

" Heureusement que ce coup tordu nous arrive à l'étape de Gênes ! marmonna le directeur en démarrant. "

En effet, ce port était la plaque tournante de leur trafic. C'est là qu'arrivaient les fioles de parfum brut en provenance de la Côte d'Azur. Elles étaient ensuite expédiées vers un laboratoire clandestin de l'arrière-pays génois où le produit était transformé en parfum hallucinogène.

Le Lübeck qui mouillait actuellement dans le port de Gênes devait justement embarquer la dernière production du laboratoire à destination de Hambourg en Allemagne, pour alimenter le trafic dans les pays de l'Europe du Nord.

Sous sa bâche, Jean attendit quelques minutes et décida de prévenir Tom et Sophie.

" Parfait, répondit Tom. Une fois à Gênes, nous irons directement à la capitainerie du port. J'espère qu'on nous croira et qu'on pourra réserver le meilleur accueil à ces brigands. Appelle-nous si tu apprends quelque chose de nouveau. "

En raccrochant, Tom esquissa une moue. Non seulement la partie qui se préparait était loin d'être gagnée, mais en plus il voyait se rapprocher le moment où il ne pourrait plus cacher à Jean la vérité sur son père.


 

Tout en conduisant, il réfléchissait au moyen d'empêcher le Lübeck d'appareiller. Le dompteur décida de s'arrêter à une station service pour faire croire au directeur qu'il avait besoin d'essence . la camionnette du malfaiteur passa alors à toute allure. Tom s'était souvenu d'un raccourci et le prit pour se rendre rapidement au port de Gênes.

Arrivés à destination, le père et la fille, après avoir pris soin de cacher le camion, coururent à la capitainerie expliquer toute l'histoire.

" - Pourquoi est ce que je devrais vous faire confiance ? répliqua le capitaine du port avec agressivité, je ne vous connais pas, alors que le patron du Lübeck, ça fait 20 ans qu'il vient ici et il a toujours été réglo avec moi ! "

Sophie, calme jusque là, bondit vers le capitaine, rouge de colère, et s'écria.

" - Et Jean , vous y pensez ? Il risque de se faire massacrer si vous ne les arrêtez pas, et ce sera de votre faute ! Ils ont déjà essayé de tuer d'autres personnes, et je suis bien placée pour le dire ! Et le trafic, vous y pensez ?

- OK, OK, j'appelle la police, mais c'est peut être vous et votre excitée de fille qu'on risque de mettre au trou ! " répondit le capitaine en s'adressant à Tom.

celui ci était rassuré à l'idée que la police allait arriver et malgré les paroles du capitaine du port. Soudain, il entendit sonner son portable.

" - Jean ? c'est toi ?.... où ?....... déjà !....... tu es fou, redescends immédiatement !...... comment ?........

- Que se passe t il ? dit Sophie toute pâle

- Jean est à bord du Lübeck, caché dans la cale, et le bateau vient de quitter le quai ! "

A ce moment, la police des mers arriva. Tom, énervé et angoissé résume la situation en quelques mots. Le capitaine du port fut tout surpris d'entendre le chef de la police dire :

" - Nous étions au courant d'un trafic dans la région, et nous attendions de prendre les escrocs en flagrant délit. J'avertis la douane, elle va les arrêter. "

Une heure interminable avait passé quand les douaniers arrivèrent enfin avec le capitaine du Lübeck et ses complices.

Jean fier et heureux, portait la marchandise meurtrière trouvée ans la cale du bateau.

" - Mais puisqu'on vous dit qu'on est innocents ! dit le directeur

- On est juste des passagers, de simples passagers, on n'a rien à voir avec cet homme et avec cette histoire de trafic ! ajouta l'homme chauve et tatoué.

mais le capitaine du Lübeck accusa les deux hommes.

" - Nous n'avons pas de véritable preuve contre ces deux individus, nous devons les laisser partir ! dit le chef de la police

- Attendez ! moi j'ai une preuve, clama Jean, j'ai surpris une conversation téléphonique entre vous deux : vous avez caché des fioles sous la coupole du chapiteau, même que le directeur a dit que vous n'auriez pas le temps de les récupérer !

- Sale gosse ! grogna le directeur

- Une seule façon de connaître vérité, dit le chef de la police, allons rejoindre ce fameux cirque. "

Le lendemain matin, ils étaient à Vienne en vue du chapiteau. L'installation était presque terminée. Les artistes, étonnés de voir la police en compagnie du directeur et de Tom, se regroupèrent et toute la troupe se rassembla sous le chapiteau. Jean expliqua à des curieux ce qui se passait.

" - Les fioles sont sous la coupole ? s'exclama le chef de la police, mais c'est beaucoup trop haut ! il faudrait tout démonter ! "

Des cris de mécontentement s'élevèrent parmi la foule : monter et démonter un chapiteau prenait des heures !

" - Moi, je vais y aller, je suis trapéziste, non ? dit soudain Sophie.

- Pas question ! répliqua sévèrement Tom, les filets de protection ne sont pas encore posés et tu n'es jamais allée aussi haut !

- Ton père a raison, c'est trop risqué, n'y va pas ! ajouta Jean.

- Est ce que tu nous as demandé notre avis quand tu t'es caché dans la cale du bateau, toi ? " répondit Sophie.

Plus rapide que l'éclair, Sophie courut vers les trapèzes et les cordes. Elle commença son ascension. Au fur et à mesure qu'elle montait, son cœur battait de plus en plus vite, elle ne sentait plus ses bras et devait contrôler et surmonter sa peur.

Un silence de mort régnait sous le chapiteau, tout le monde retenait sa respiration. Jean serra sa branche d'aubépine si fort qu'il la cassa. Tom, pâle et le front ruisselant de sueur, ne quittait pas sa fille des yeux.

Arthur avait suivi Sophie. En le voyant, elle se sentit rassurée et s'élança avec agilité et courage dans le vide pour attraper le trapèze suivant. Malgré sa souplesse et sa concentration, elle rata le trapèze, mais le petit ouistiti descendit d'un niveau et lança une corde à son amie. Un cri étouffé monta sous le chapiteau, ils avaient tous eu très peur.

Enfin, arrivés au sommet, Sophie et Arthur décrochèrent le sac contenant les fioles. La jeune trapéziste le mit autour du cou et redescendit très prudemment. Des applaudissement retentirent et tout le monde se précipita vers la jeune fille pour l'embrasser et la féliciter.

Profitant de ce moment émouvant, le directeur et l'homme tatoué s'éclipsèrent à pas de loup.

" - Attention, ils s'enfuient ! s'écria Sophie en montrant les deux escrocs.

La foule se retourna, Tom et Jean se regardèrent. Ils eurent la même idée et foncèrent vers la cage des fauves.

Jean lança le fouet à Tom et celui ci ordonna aux animaux d'encercler les deux hommes.

Il ne fut pas nécessaire de donner deux fois cet ordre aux tigres et aux lions. Rugissant, la gueule ouverte montrant des crocs redoutables, les bêtes sauvages faillirent dévorer les malfaiteurs, mais grâce à l'intervention de Tom, le pire fut évité.

La police arrêta les deux bandits et le calme revint dans le cirque.

Quand l'heure du dîner arriva, Tom sentit que le moment de parler à Jean était proche. Il lui posa des questions sur sa famille. L'adolescent montra à ses amis une photo de sa mère. Sans un mot, Tom se leva et s'approcha du coffre caché par la photo du trapéziste. Il en sortit une photographie qu'il tendit aux enfants.

Jean , surpris, y vit une femme qui ressemblait énormément à sa maman et à côté d'elle, un homme, le sosie du jeune palefrenier, mais en plus âgé et portant une branche d'aubépine à la boutonnière.

" - Qui est ce ? demanda Jean ému à Tom.

- Ton père et ta mère, maintenant j'en suis certain. L'homme que tu vois là est mon ami trapéziste, il s'appelle Eric.

- Où est il ? demanda Jean en tremblant

- Est ce qu'il est dans un autre cirque ? ajouta Sophie; "

le dompteur raconta toute l'histoire du trapéziste.

" - Ton père était la vedette du cirque Mondo Mondo, il avait découvert le trafic de fioles et le directeur lui avait remis une grosse somme d'argent en échange de son silence. Mais ton papa était honnête et se sentait menacé, c'est pour cela qu'il m'a confié tout ce qu'il possédait, pour que je le remette à sa famille en cas de malheur. Peu de temps après il a eu son fameux accident, c'est moi qui l'ai conduit à l'hôpital et j'ai fait croire au directeur qu'il était mort pour le protéger.

- mais où est il ? insista Jean.

- Pas loin d'ici, dans une école de cirque pour....enfants handicapés.

- Handicapés ! crièrent les enfants.

- Oui, il est lui même dans... un fauteuil roulant.

- Mais pourquoi n'est il pas revenu au domaine ? interrogea Jean

- Sa passion, c'était le cirque, et ta mère avait compris et l'avait laissé partir. Il ne voulait pas retourner la voir avec son handicap et être à sa charge. Ca fait deux ans que je vous cherche, mais ta mère avait déménagé sans laisser d'adresse, même à ses amis. "

Le lendemain, ils prirent la direction de l'école de cirque. La rencontre entre le père et le fils fut très émouvante, et tout le monde pleura.

Ils décidèrent de retourner au domaine malgré les craintes d'Eric, mais Jean insista, il était certain que sa mère comprendrait et serait heureuse.

Et c'est ce qui se passa. Les parents de Jean décidèrent d'arracher les ronces et de transformer le domaine en école de cirque pour handicapés.

Puis le moment de se séparer arriva, les enfants étaient tristes.

" - Sophie, dit Jean, suis moi, j'ai quelque chose à te donner "

Il cueillit une branche d'aubépine et la tendit à Sophie. Elle la prit délicatement et sourit.

Ils savaient qu'ils se reverraient un jour.

 

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